La musique sourde cognait contre les parois des murs trop propres, emmenant dans sa transe des centaines de jeunes portant leurs verres aux lèvres, attendant que l'alcool leur monte à la tête pour tomber dans la débauche décadente et insolente. Ici, les petits bourges se mêlaient aux étudiants déjà plus modestes, mais le monde de la nuit n'était pas si tolérant : les néons frappant de leur lumière blanche les podiums révélaient des jeunes filles aux talons vertigineux et à la jupe trop courte, et tout jeune homme se respectant pouvait les prendre pour des poupées avec lesquelles s'amuser pour la nuit. C'était peut-être aussi pour cela que Luke aimait cet endroit : sans tabou, sans sérieux, seulement de l'alcool, de la danse, son groupe d'amis et des jolies filles. Par ailleurs on le connaissait ici, en vérité on le connaissait partout où il allait : Luke Nicholas Santori, fils d'une actrice célèbre et d'un milliardaire requin des affaires, ou le junkie invétéré de ces demoiselles qui hait son monde plus qu'un fêtard à la gueule de bois exècre un verre de vodka au réveil. Son credo avait toujours été Live fast and die young, ayant eu sa première coucherie à treize ans, drogué à quinze, dores et déjà pervers machiavélique à dix-neuf, il était impossible d'ignorer qui demeurait Luke Santori, en bien ou en mal on ne pouvait que connaître son nom. Assis au carré VIP, c'était à peine s'il connaissait les personnes autour de lui ; elles ne s'accrochaient à lui que parce qu'il leur ouvrait les portes des clubs prisés, mais aussi et surtout parce qu'il avait pour lui quelque chose que beaucoup d'autres n'avaient pas : l'âme d'un meneur. Mis à part le jeune homme au teint foncé et aux épaules larges portant le nom de Stan, Luke ne pouvait prétendre à connaître le nom de ces autres personnes le regardant avec admiration : en face de lui, un blond gringalet au rire nerveux mais au comportement louche ne cessant de faire tourner sa pilule pastel entre ses doigts ; qui dans le jargons des dealers bien connu de Luke, constituait ce qu'on appelait la clientèle "strass" : le genre de gars qui vous achète quelques grammes pour se donner une sorte de prestige auprès des amis, mais qui peine à rouler sa feuille pour en respirer la poudre. Autour de lui, d'autres personnes, d'autres visages cherchant l'attention de Luke, vexés néanmoins de voir qu'il ne leur répondait à peine, ou ne leur octroyant qu'un simple sourire en coin quand deux demoiselles vinrent se caler dans ses bras. La renommée avait de cela de glorifiant qu'elle vous attirait les créatures aux longues jambes dans un claquement de doigts, plus encore lorsque vous aviez de l'argent... S'étalant alors à son aise dans le canapé rouge du carré VIP, Luke posa ses jambes sur la table basse où certains de ses amis traçaient déjà des rails d'un geste tremblotant, quand son ami au teint foncé décrocha son téléphone. Ignorant les murmures sensuels d'une des demoiselles à son oreille, Santori fronça un instant les sourcils lorsque Stan lui tendit son portable dans un haussement d'épaules ; aussitôt Luke comprit qu'à l'autre bout du fil se trouvait une personne qu'il ne connaissait pas mais voulant tout de même lui parler, parce qu'être en contact avec un jeune bourge ayant autant d'influence, c'est fun, et pour un peu qu'on ait une petite amie blonde à lui présenter pour une nuit, ça peut vous ouvrir des portes. La voix voix suave et incandescente du jeune brun ténébreux s'éleva alors dans le vacarme de la musique sourde ; murmurant alors et laissant le son de ses paroles porter dans une sensualité détonante et froide.

« Qu'il aille se faire foutre, je parle pas aux inconnus. » fit-il dans une ironie cinglante alors qu'il demeurait sans doute le bourge orgueilleux le plus étrangement sociable qui soit.
« Il dit qu'il s'excuse mais qu'il est occupé là, rappelle plus tard. »

Luke soupira alors, haussant son regard de braise avant de se lever sans un mot et de quitter son groupe d'amis quelques peu surpris de le voir les quitter ainsi sans avancer une parole de plus. Néanmoins le jeune homme traça son chemin sans se retourner, la prestance écrasante et le charisme imposant, se frayant un chemin d'emblée parmi la foule dansante et laissant dans son sillage un parfum envoûtant et épicé. S'avançant vers le bar car pris d'une lubie soudaine de martini dont il voulait se délecter seul, son regard d'ambre accrocha la silhouette fine au loin d'Amor, jolie petite brune qui demeurait une de ses amantes d'une nuit. De sa démarche de loup prédateur aux aguets, il ne la quittait plus de son regard luisant d'une lueur perverse et joueuse comme il naquit un sourire au coin de ses lèvres. Néanmoins la jeune demoiselle eut à peine le temps de se retourner que déjà un jeune homme maladroit -et très probablement saoul-, lui renversa son verre entier sur son haut à présent entâché, provocant la colère de Amor.

- Tu pourrais pas faire attention, gros con ?

Le sourire de Luke persistant sur ses lèvres, mais amusé cette fois, il continua de s'approcher comme il reconnut le maladroit en question, demeurant ni plus ni moins l'un de ses amis. Provocateur et joueur jusqu'au bout, le ténébreux brun contourna Amor avant de se caler dans son dos, enlaçant doucement sa hanche d'une main qu'il posa sur son ventre plat, avant de se pencher à son oreille non sans avoir dégagé au préalable d'un geste sensuel ses longs cheveux d'ébène.

« Relax darling, calme tes nerfs. Je te présente Scott. »

Déposant un baiser dans le cou de son amante aux nuits éphémères, il posa un regard amusé sur son ami qui se répandit en excuse tout en tentant de tenir tout de même debout. Ignorant son ami saoul jusqu'à la moelle, Luke se redressa avant de caler une cigarette au coin de ses lèvres alors que la jeune fille se retourna, la toisant de son regard provocateur comme il lui balança un briquet à la tôle d'argent.

« Tu m'allumes ? » fit-il dans un sourire en coin.

« Relax darling, calme tes nerfs. Je te présente Scott. »

Amor sentit les mains du jeune homme se poser sur son ventre, et sa tête se caler dans son cou. Dieu que cela lui avait manqué. Elle ne pût s’empêcher de frisonner intérieurement. Ledit Scott déguerpit bien vite, avant d’avoir présenté ses excuses à la belle Amor. Maintenant, son T-shirt blanc déjà bien échancré à la base devint complètement transparent. Mais, et alors ? Elle ne pouvait pas prétendre être pudique où prude alors qu’elle avait un nouveau garçon dans son lit tous les soirs.

Ce n’est pas qu’elle ne voulait pas voir Luke, bien au contraire. Elle espérait secrètement l’apercevoir ici à chaque fois qu’elle venait. C’est ici qu’ils s’étaient rencontrés, pour la première fois. Il était venu la coller alors qu’elle dansait sensuellement sur le podium, avec une jupe beaucoup trop courte, comme toutes les filles ici. Évidemment, cela s’est terminé au lit. Et sa réputation n’est pas fausse. Ce fut le garçon le plus doué avec qui il lui a été donné de coucher avec. Elle savait qu’il était célèbre, évidemment. Mais avant qu’il l’aborde, ce soir là, elle ne portait pas attention à lui. Elle le connaissait de nom et de réputation, mais comme vous vous en doutez, Amor ne fait attention qu’à elle même. Amor ne tient qu’à son petit plaisir.

Et puis, Luke et Amor ont remis ça, peut-être deux semaines après. Mais tout ce qui se passait avec elle et Luke n’était pas habituel. D’habitude, Amor drague, puis Amor invite dans son lit, passe à l’acte et se dépêche pour être la première partie le lendemain matin. Mais avec lui, tout était différent. Il prenait les commandes. Et dire que cela ne lui plaisait pas, même si elle se refusait à toute sorte d’autorité masculine, serait définitivement mentir. Depuis, elle s’éprit à l’observer, ou le chercher quand elle savait qu’il était dans les parages. Elle le voyait quelques fois à Yale. Toujours avec une fille sous le bras.

Amor était juste la fille avec qui on couchait, et qu’on oubliait le lendemain matin. Combien de fois son regard avait croisé celui de Luke la journée sans que rien ne se passe ? C’était bien ça le problème. Amor n’existait que la nuit, et la journée, on oubliait qui elle était. Mais elle ne pouvait pas lui en vouloir. La régle est la même pour toutes, quand il s’agit de Luke, et elle en était bien consciente. Avec lui, c’est l’histoire d’une nuit, où plusieurs si on lui plait bien, et c’est tout. C’était presque à se demander si le jeune homme avait un cœur. Bien sûr qu’il en avait un, et Amor en était convaincue. Mais elle pensa alors que celle qui parviendrait à forcer l’armure qui l’entourait devait être sacrément intéressante et sacrément douée. Elle savait pertinemment qu’elle ne serait jamais cette fille. Amor n’était bonne qu’à être sautée tous les samedi du mois, et ça s’arrêtait là.

Le jeune homme au parfum envoutant, se redressa, et Amor lui fit face, toujours avec ce même regard provocateur. Ce jeu. Elle aimait cela. C’était un peu le piment de son existence. Luke était un peu le piment de son existence, à vrai dire. Il plaça une cigarette au coin de sa bouche, et lança à la belle brune un briquet.

« Tu m'allumes ? »

Il prononça ces mots avec une telle prétention, comme à son habitude. Amor poussa un petit rictus. Cet homme l’envoutait. Et cette sensation la déstabilisait, tout simplement car elle n’avait jamais éprouvé une telle fascination pour un homme auparavant. Il avait un tel charisme qu’il en était presque impressionnant. Mais Amor ne s’en laissa pas démonter pour autant. Il voulait jouer ? Très bien. Mais qu’il ne compte pas sur la jeune femme pour se laisser dominer, non. Elle serait provocatrice, tout comme lui. A ses mots, Amor prit délicatement la cigarette du jeune homme afin de la placer dans sa bouche et de l’allumer à l’aide du briquet. Elle tira une longue taffe, et recracha la fumée à la figure de Luke. Un sourire fier sur le visage d’Amor. Elle présenta alors la cigarette à Luke côté mégot, ou on pouvait apercevoir une marque rouge due à son rouge à lèvres. Elle savait pertinemment que si elle le fuyait, il reviendrait. Du moins elle l’espérait sauvagement, car elle avait drôlement envie de sa présence ce soir. Pas forcément coucher, juste envie qu’il soit à ses côtés.

- Seulement si tu me réserves une place dans ton lit ce soir, dit-elle assez fort pour qu’il l’entende malgré la musique, avec ce même sourire en coin.

La jeune fille avait toujours été dans les bonnes grâces de Luke ; il fallait avouer que son physique avantageux y jouait pour beaucoup, mais primait également le caractère joueur de Amor. Ses courbes appétissantes, ses jambes divines, son teint de cygne et ses cheveux d'ébène lui conféraient une beauté lumineuse et rayonnante, et pourtant Santori ne semblait s'intéresser à elle que la nuit tombée. Pour autant la jeune fille avait de la conversation, intelligente et cultivée, cela tranchait avec son côté garce facile et aisée à coucher dans un lit, néanmoins le brun ténébreux ne semblait vouloir s'en approcher que lorsqu'il était d'humeur joueuse ou qu'il entrevoyait une nuit pleine d'ébats mordants à venir. En journée, c'était à peine si la délicieuse demoiselle était invisible ; non pas qu'il l'ignorait volontairement, mais Amor était à ses yeux une sorte de poupée plaisante, qui si elle se donnait à qui voulait l'entendre, c'était bel et bien parce qu'elle l'avait choisit. Pour Santori, elle jouait avec son corps qu'elle offrait à n'importe quel beau jeune homme passant par là, et Luke ne se sentait guère différent dans le tableau de chasse de la jeune fille : entre eux ce n'était que purement physique, des jeux de plaisirs passionnés et ardents, mais aucune amitié quelconque voire plus. Il lui paraissait évident, sans doute maladroitement néanmoins, que Amor ne voyait entre eux que des parties de jambes en l'air plaisantes, aussi à quoi bon s'attarder avec cette dernière en journée lorsqu'il savait que la prochaine nuit, sans doute, il la glisserait dans ses draps ? Et combien de fois l'arrogant Luke avait-il adressé un regard à Amor sans vraiment la voir, d'une oeillade distraite et brève alors que cette dernière le dévisageait pensivement, sans vraiment s'en rendre compte avant de reprendre la conversation avec son petit groupe d'amis prétentieux et bourges. La belle Amor n'était pourtant pas sans saveur, mais le coeur de Luke, trop glacé et à peine vivant, le rendait tant égocentrique que seul son plaisir personnel comptait. Après tout, tous les deux en tiraient profit, alors pourquoi venir s'embêter avec une pseudo amitié qu'ils porteraient comme de trop lourdes chaînes... Là était sans doute toute l'hypocrisie de leur relation lubrique : la journée, il ne la voyait pas, quand la nuit venue le brun ténébreux venait lui faire des avances ou des sous-entendus trop explicites. Une facilité comme une autre dont il s'accommodait fortement, et dont il pensait qu'il en était de même pour la belle brune. Cette dernière ôta la cigarette des lèvres rosées de l'héritier qui ne cilla pas, se contentant de ne pas la lâcher de son regard de braise alors que son amante d'un soir jouait les félines provocantes avant de lui remettre ladite cigarette qu'elle lui tendit d'un geste sensuel. Une inspiration, et la nicotine grisâtre noya ses poumons dans une volute vaporeuse alors qu'il souffla la fumée sous la tirade directe de la belle demoiselle.

- Seulement si tu me réserves une place dans ton lit ce soir.
« Peut-être »

Luke ou l'art de jouer la provocation jusqu'au bout : les deux jeunes gens s'étaient aventurés dans le jeu du défi enflammé et luxurieux. Ses prunelles ambrées brûlaient la peau opaline de la douce aguicheuse tant il ne daignait plus dévier son regard de sa silhouette enchanteresse, malgré la réponse évasive de Luke, il était pourtant certain que tous deux finiraient dans le même lit, comme souvent. Si souvent par ailleurs, que certains étaient allés jusqu'à se demander si ces derniers ne finiraient pas en couple à défaut de profiter d'une amitié améliorée, mais en vérité était-ce la faute du brun ténébreux si la jeune demoiselle était douée pour les étreintes lubriques et passionnées. Il appréciait sa compagnie, certes, mais préférait l'avoir dans son lit qu'en face de lui pour une énième discussion soit disant amicale. Il tira une autre bouffée de nicotine s'évaporant dans ses poumons d'une fumée grisâtre et toxique, suprême poison dont il ne pouvait plus se passer et à croire que Luke était tant adepte de son auto-destruction qu'il se délectait de sa cigarette malgré ses effets pervers.

« Suis moi. »

A peine un sourire mais un regard ardent alors que sa voix lascive et suave parvint par sa prestance à passer outre la musique assourdissante se cognant à la paroi des murs autant que dans leurs boîtes crâniennes dans un tempo trop lourd. Luke tourna les talons avant de se frayer un chemin dans la foule dansante, transcendée par le tempo du disc-jokey et les lumières frappantes des néons trop lumineux, comme le sillage de son parfum épicé le succéda. Ce fut sans un mot de plus ni même sans se retourner qu'il se dirigea vers les toilettes. La porte refermée, le rythme lourd de la musique saccadée et trop forte buta contre celle-ci, résonnant plus faiblement entre les murs tapissés de carrelage. Toujours la cigarette aux lèvres, le jeune homme alla s'asseoir sur les lavabos, appuyant son dos contre les miroirs proprets avant que sa main ne vienne allumer un robinet à sa portée comme son regard ambré ne quittait plus la demoiselle.

« Tu ne vas tout de même pas rester avec de la vodka plein ton T-shirt, darling... » murmura-t-il dans un souffle suave, un sourire pervers au coin des lèvres.